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9 juin 2016

Lettre à Alejandro Aravena

Imaginer l'espace du possible

Cher Alejandro,

Les architectes ont aujourd’hui plus que jamais beaucoup de batailles à mener.  Dans un monde où l’opinion dominante ne laisse pas de place aux autres voix, les projets sont devenus nos propres actes de résistance. Ce sont des occasions pour créer l’exemple, le précédent qui, comme dans le domaine juridique, nous permettrait par la suite de le citer comme un droit acquis.

Ces deux bâtiments à Bègles ont été réalisés dans cet esprit, dans l’idée de pouvoir dire « regardez, c’est possible. »

Le territoire était fertile, Bègles est une des rares villes en France où il est encore temps d’entreprendre ce type de projet : gouvernée par les verts, ouverte d’esprit, et en pleine reconstruction.

Une reconstruction qui a été initiée après la démolition d’un « grand ensemble », un quartier entier rasé pour redémarrer à nouveau sur de nouvelles bases.

Cette tabula rasa, a fait que ce projet devait répondre à des questions beaucoup plus larges et génériques que celles du territoire même.  Les problèmes que nous avons retrouvé à Bègles sont les mêmes que nous avons ensuite observé dans beaucoup d’endroits de cette planète.

-          Il faut faire plus dense, pour consommer moins de territoire, et quand nous ne pouvons pas, il est nécessaire d’imaginer des systèmes pour que la densité puisse augmenter.

-          Il faut donner la possibilité aux gens qui ont peu de moyens d’habiter un endroit qui puisse évoluer avec eux, les accompagner durant le déroulement des étapes fondamentales de leur vie : le couple, le mariage, les enfants, la sénilité…

-          Il faut réinventer le logement collectif, ou au moins envisager des formes d’habitat intermédiaires susceptibles de conjuguer le désir d’intimité et le plaisir de sociabilité.

-          Il faut  des projets qui montrent  qu’aujourd’hui le prix de construction est devenu la résultante d’une folle équation où l’économie de service dicte les règles.

-          Il faut penser des modèles climatiques qui ne sont pas l’image d’une règlementation, ou d’une mouvance radicale-écologique, mais qui soit issue d’une réelle réflexion sur le changement climatique de la planète.

Ce projet est notre réponse à ces 5 batailles.

Bègles n’est pas un projet fini, mais une « forme en mouvement » à la manière de Paul Klee.

C’est un enveloppe capable qui peut demain doubler sa taille, en conséquence doubler la densité.

Chaque appartement peut utiliser son jardin d’hiver pour augmenter sa surface et cela peut se faire par l’habitant même, sans permis de construire.

Ainsi, en fonction de l’évolution d’une famille, on peut ajouter une pièce dans un cadre déjà construit. Et pourquoi pas l’enlever ensuite quand les enfants ne seront plus à la maison. 

Chaque appartement, comme dans une maison individuelle à 4 façades, trois expositions, il présente les mêmes qualités qu’une maison individuelle (notion de privatif, un espace extérieur privé, indépendance et un fort contact sensoriel avec l’extérieur) sans leurs inconvénients sur le plan de l’impact environnemental (allongements des réseaux, pollution visuelle et atmosphérique, consommation du territoire).

Ce projet est aussi une démonstration de l’absurdité du système économique de la fabrique actuelle de l’architecture. Il a été construit avec 1000E du m², sachant que les m² des loggias ne sont pas pris en compte. C’est beaucoup moins du prix courant dans cette région pour le double de la surface.

Pour arriver à ce résultat, au-delà d’un travail de rationalisation, de préfabrication, de contrôle, de gestion du budget et de sobriété architecturale, nous avons coupés tous les intermédiaires, l’économie de service, permettant d’aller de celui qui fait à celui qui achète avec peu de passages.

La partie formelle, mise en place pour des raisons urbaines, nous a aussi permis de travailler sur un modèle climatique hybride qui correspond au climat de cette partie de la France. A mi-chemin entre le modèle sur-isolé nordique et celui de l’architecture à patio de la méditerranée, la conception bioclimatique se base sur un principe de compacité variable qui introduit la notion d’adaptabilité d’un logement au rythme des saisons ou du jour. Chacun ayant la possibilité d’utiliser son espace extérieur comme protection au vent, une mini serre climatique ou à l’inverse comme une machine à rafraîchir. Il s’agit ici d’une architecture d’intersaison.

Ce projet n’a rien de standard, et malgré que le bâtiment soit épais de 7m, construit comme un parking et habillé d’éléments industriels, il en résulte une pièce fondamentale dans la définition de l’espace public de ce site. Il nous tenait à cœur de montrer qu’un parti radical, peut aussi s’exprimer à travers un langage quotidien, presque banalisé.


Umberto Napolitano

Benoit Jallon

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